Selon LEAP/E2020, les élections françaises de 2012 (élection présidentielle suivie d'élections législatives)
et les élections fédérales allemandes prévues en 2013 seront le théâtre de deux chocs majeurs qui
bouleverseront les rapports de force politique dans ces deux piliers de l'Euroland et de l'Union
européenne. Leur simultanéité, leur nature inverse mais leurs effets similaires constitueront de nouveaux
exemples des transformations brutales induites par la crise systémique globale au sein du tissu politique
et social national. Ce double choc définira également les caractéristiques essentielles du leadership
politique européen au moment où la nouvelle génération de dirigeants mondiaux sera collectivement
confrontée à la dernière opportunité d'éviter que la dislocation géopolitique globale se transforme en
confrontations généralisées.
Le double choc peut se résumer à deux annonces qui probablement résonneront comme des coups de
tonnerre au soir des élections présidentielles françaises et législatives allemandes : le Front National
devancera l'UMP et Die Grünen (les Verts) devanceront le SPD. Chacun de ces deux résultats
constituera un tremblement de terre dans le paysage politique du pays concerné.
Ainsi, en France, le parti du président actuel, maître complet du jeu politique depuis 2007 avec son
contrôle intégral des institutions de la République, se retrouvera derrière un parti considéré comme
extrémiste et ultra-populiste, un parti que le président Sarkozy s'était flatté d'avoir réduit à néant ou
presque électoralement lors de son élection en 2007.
Tandis qu'en Allemagne, le « junior partner » des socialistes allemands depuis plus de deux décennies
(tant dans les coalitions fédérales qu'au niveau des Länder) s'imposera comme le nouveau maître du jeu
politique, « faiseur de roi », ou plus exactement décideur en matière de futures coalitions
gouvernementales. Pour la première fois, un parti « vert », issu des mouvements « babyboomers » des
années 1970, sera en position d'imposer sa marque au gouvernement d'un grand pays.
Les phénomènes en cause sont bien entendu spécifiques à chacun des deux Etats mais certaines
tendances à l'œuvre à l'échelle de l'Europe expliquent aussi l'évolution que nous prévoyons.
France 2012 : Le Front National devance l'UMPDans le cas de la France, l'année 2010 a vu la prise de conscience croissante dans l'opinion publique d'un
triple échec de la stratégie de l'UMP et de son leader, Nicolas Sarkozy, qui a notamment abouti à des
niveaux d'impopularité présidentielle sans équivalent depuis les débuts de la V° République en 1958
et qui déterminent le choc électoral de 2012 :
- l'incapacité à tenir les principales promesses électorales en matière de croissance, d'emploi et de revenu
(résumées dans le fameux slogan de la campagne présidentielle « Travailler plus pour gagner plus »). En
effet, la crise mondiale a mis un terme à tout espoir de réduction du chômage (c'est le contraire qui s'est
imposé) tandis que l'austérité mise en place pèse lourdement sur les classes moyennes et défavorisées.
- une méthode de gouvernement qui a heurté durablement une grande majorité de Français tout en
prouvant son inefficacité opérationnelle. Trois exemples illustrent parfaitement ces tendances :
- - en matière de politique extérieure : le retour de la France dans l'OTAN, l'engagement militaire
français croissant en Afghanistan et l'alignement quasi-complet de la diplomatie française sur celle
de Washington. Ces décisions ont été prises sans avoir été mentionnées dans la campagne
présidentielle (c'est même le contraire que Nicolas Sarkozy avait annoncé en ce qui concerne
l'Afghanistan) et sans aucune consultation démocratique ultérieure. Elles ont donc choqué une
grande partie de l'opinion et en particulier une proportion significative de l'électorat UMP
traditionnel, attaché à l'héritage gaulliste en matière d'indépendance nationale. C'est d'ailleurs cet
électorat-là qui permet la candidature dissidente de Dominique de Villepin, ancien Premier
Ministre de Jacques Chirac, à la manœuvre lors du refus français de soutenir l'invasion américano-
britannique de l'Irak, puisqu'un nombre identique d'électeurs de droite (15% chacun) souhaitent
leur candidature pour 2012
- - en matière de politique économique, fiscale et sociale : le traitement du dossier des retraites sans
aucun dialogue social et le « bouclier fiscal » ont renforcé le sentiment général (ces thèmes
génèrent des oppositions de larges majorités de Français y compris dans l'électorat de droite)
d'une approche inefficace des problèmes socio-économiques, ignorant toute dimension de
dialogue et se faisant systématiquement au profit des classes les plus favorisées. L'affaire
Bettancourt (héritière de l'Oréal et première fortune de France), son cortège de révélations
problématiques pour les dirigeants français et le chaos judiciaire qui en résulte marquent
profondément l'opinion publique, notamment dans les milieux populaires qui ont fourni les
contingents d'électeurs-transfuges, passées en 2007 du vote Front national au vote UMP. Le
clivage entre « eux et nous », « les riches et puissants » d'un côté et « le peuple » de l'autre joue
désormais pleinement en défaveur de l'UMP alors qu'il avait fortement desservi le Parti socialiste
en 2007 (thématique d'une « gauche-caviar », parisienne et déconnectée du peuple).
- - en matière de grands principes républicains : les politiques mises en œuvre en ce qui concerne
l'éducation nationale, le traitement des minorités ou des immigrés génèrent des sentiments
croissants de rejet. Ce sont bien entendu des groupes différents qui réagissent selon les politiques
concernées mais deux tendances se dégagent systématiquement : un sentiment d'une trahison de
nombreuses valeurs républicaines, ce socle de valeurs communes qui fondent la France
moderne depuis près de deux siècles et qui sont non seulement les héritières des Lumières mais
aussi de la tradition chrétienne. Ce dernier point a été illustré par l'opposition bruyante des
catholiques aux mesures prises contre les Roms. En résumé, sur cet aspect principiel, l'UMP
apparaît de manière croissante, y compris à une partie traditionnelle de son électorat, plus proche
du centre, comme un mouvement politique en rupture avec les valeurs du pays. D'ailleurs, le
Nouveau Centre, pourtant satellite de l'UMP, compte bien présenter un candidat au premier tour
des présidentielles de 2012 en la personne d'Hervé Morin, actuel ministre de la Défense. Ce
seront encore quelques pourcentages de voix qui n'iront pas à l'UMP au premier tour.
- un style présidentiel qui n'aura pas survécu à la crise : l'UMP paiera en 2012 l'addition électorale du style
« people » qu'a essayé d'imposer Nicolas Sarkozy à l'image présidentielle française. Personne ne saura
jamais si sans la crise, le style « bling-bling », mêlant « paillettes » et « ors de la République », aurait eu
une chance de réussir à séduire les Français. Toujours est-il que la crise mondiale et son cortège de
difficultés économiques et sociales, de chômage et d'austérité, n'auront fait qu'une bouchée de cette
tentative. Mais électoralement la difficulté durable pour l'UMP c'est que le président français ne parvient
pas à effectivement effacer cette image de l'esprit collectif. Or la crise socio-économique ne pouvant que
s'aggraver d'ici 2012, c'est désormais une image totalement contre-productive en terme de
communication politique.
En résumé, notre équipe constate donc qu'en cas très probable de nouvelle candidature de Nicolas
Sarkozy, toutes les conditions sont désormais réunies pour que le premier tour de l'élection
présidentielle française de 2012 voie un effondrement historique du score de l'UMP, déserté par ses
électeurs centristes, par ses électeurs « gaullistes » et par son électorat populaire (transfuge 2007 du
Front National pour l'essentiel).
Et selon LEAP/E2020 cet effondrement profitera en premier lieu au Front National pour trois raisons
fondamentales :
- l'électorat populaire qui avait permis la victoire de Nicolas Sarkozy était venu pour l'essentiel du Front
National (qui avait alors réalisé un score très faible). Or cet électorat, déçu du Sarkozysme, est depuis
reparti vers le FN qui a réalisé de très bons scores aux dernières élections régionales. Cette situation
explique ainsi la récente radicalisation sécuritaire et anti-immigration du gouvernement français dans une
vaine tentative de récupérer ces électeurs. Et elle s'illustre par les déclarations de députés UMP qui
prônent une alliance avec le Front National lors des élections législatives de 2012
- La crainte d'une déroute législative de l'UMP en 2012 quelques semaines après une déroute présidentielle est visiblement
présente dans l'esprit d'un nombre croissant de députés du parti actuellement au pouvoir en France. Et
les alliances du même type effectuées aux Pays-Bas, au Danemark, en Italie ou en Autriche suscitent des
vocations.
- la multiplication de ces alliances en Europe entre la droite dite « traditionnelle » et l'extrême-droite
reflète une tendance européenne fondamentale dont la crise accélère l'évolution. Les inquiétudes socio-
économiques facilitent l'impact des discours politiques simplistes, identifiant des boucs émissaires
(minorités, immigrés) tandis que la crédibilité démocratique des partis de droite traditionnelle est érodée
fortement par leur collusion avec les pouvoirs financiers au cœur de la crise et leur gestion de mesures
impopulaires. En la matière, hélas, rien de bien neuf sous le soleil politique ! Et ce phénomène jouera
donc pleinement en France en 2012.
- l'émergence à la tête du Front National d'une nouvelle génération de « frontistes » incarnée par la « fille
du chef », Marine Le Pen, renforce l'attractivité électorale de cette formation en modernisant son image
(jeunes générations), en l'adoucissant (une femme) et en l'éloignant du passé « sulfureux » du fondateur.
Marine Le Pen appartient pleinement à cette génération européenne des « petits-fils » (et « petites-filles »
de Pétain, Mussolini, Hitler, Franco, ...) comme les Wilders (Pays-Bas), Fini (Italie), De Wever (Belgique),
Strache (Autriche), Vona (Hongrie), Tudor (Roumanie), Kjaersgaard (Danemark), …
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